Texte envoyé par un enseignant du secondaire pour être lu à l'AG étudiante du mercredi 28 mars 2018 sur le campus clsh de Nancy
Ce soir, j'ai un peu honte de mon métier de prof.
Mon premier conseil de classe nouvelle mouture après
réforme macroniste du système d'orientation vient
d'avoir lieu, et ce qu'on nous demande d'y faire est
juste abject.
Il faut donc – puisque toutes les filières sont
sélectives, désormais – que nous remplissions pour chaque élève à
destination des écoles et des universités une "fiche avenir", qui
consiste à établir :
- La « cohérence du projet avec les qualités personnelles » → il est
donc désormais officiellement établi que l'évaluation n'est plus celle
d'un travail mais de "qualités personnelles", soit d'individus.
- Le « degré de motivation » → qu'est-on censés en savoir ? Le métier
de professeur implique-t-il de sonder les cœurs et les reins ?
- Les « chances de réussite » → qui risquent d'être hautes si on en
préjuge comme ça dès le Lycée ! Notre société ne comporte sans doute
pas déjà tant de sélection, de reproduction sociale et de classisme
qu'il faille en surajouter. Puis cela est bien connu : jamais on n'a
vu d'adolescents de dix-sept ans ne sachant trop encore où aller, qui
après le bac se soient découverts et réinventés de façons imprévues.
L'on se retrouve alors face à des situations surréalistes, où il est
tranquillement attendu des professeurs que nous nous perdions en
spéculations personnelles idiotes à propos des jeunes qui nous sont
confiés et de leur projet de vie. Ainsi ai-je entendu : « Oh, une très
belle cohérence dans les vœux de X ! » ; « En revanche Y demande une
prépa vétérinaire, de l'histoire de l'art et de la sociologie... c'est
très dispersé tout ça, on sent une certaine hésitation, il faudrait
une résolution plus ferme ! »
Pour peu, l'on croirait des critiques d'art en train de mâchonner
leurs réserves et de sous-peser leurs louanges sur la « belle
cohérence » de machin ou sur la « ferme résolution » de bidule. Sauf
qu'il ne s'agit pas d'agiter nos vanités devant des tableaux, mais
d'ouvrir ou de fermer des portes à des mômes.
Et face à cela, passées quelques velléités d'indignation vite
rabattues, j'ai passé l'essentiel du temps à me taire.